Lorsqu’on aborde une langue en danger comme le laze, chaque mot, chaque structure grammaticale, chaque inflexion a le poids d’une culture en sursis. Dans ce contexte, l’approche linguistique ne peut se permettre d’être détachée, encore moins inaccessible. Or, certaines grammaires publiées autour du laze, comme celle co-signée par Gôichi Kojima, donnent la sensation d’un travail réalisé avant tout pour le prestige intellectuel, et non pour la revitalisation vivante de la langue.

Il ne s’agit pas ici de défendre une vision approximative ou de dénaturer la grammaire, mais de questionner une posture académique qui, par son formalisme excessif, devient rebutante pour le grand public. La documentation du type de celle présentée sur le site http://ayla7.free.fr/laz/1F.html montre bien que le laze possède une richesse morphologique et syntaxique réelle, mais que celle-ci peut être abordée de manière beaucoup plus accessible, ancrée dans l’expérience vécue et non dans l’hermétisme universitaire.

Par ailleurs, il est également utile de souligner la contradiction présente dans certaines critiques de cette approche. La page intitulée “documentmassacre.html”, bien qu’animée par un souci de rigueur, emploie le terme très chargé de « massacré », sans toujours mesurer la portée affective de ce mot en français. Ce choix lexical semble refléter une volonté polémique, que confirment les traductions proposées dans d’autres langues : “altered document” en anglais (relativement neutre), mais surtout “改竄文書” (kaizan bunsho) en japonais, terme souvent employé pour qualifier des documents falsifiés dans des contextes judiciaires, et “bozulmuş çalışma” en turc, qui évoque un travail dégradé, abîmé, presque irréparable. Cette volonté de frapper fort trahit une charge affective de la part de Gôichi Kojima lui-même : en voulant dénoncer les altérations introduites par İsmail Avcı Bucaklişi, il emploie une rhétorique si marquée qu’il en vient, paradoxalement, à tomber dans une forme d’indignation spectaculaire, là où une défense sobre et factuelle aurait été plus convaincante.

Ce ton affectivement marqué n’est d’ailleurs pas isolé : on retrouve chez Kojima, y compris dans ses prises de position publiques, un style très rigide, parfois véhément, qui trahit un besoin presque obsessionnel de rétablir la vérité. Dans un article publié sur son blog personnel au sujet du journaliste Philippe Mesmer (Le Monde), Kojima conteste vigoureusement une erreur factuelle, allant jusqu’à interroger l’authenticité d’un email reçu, contacter la rédaction du journal, et reprocher l’absence de réaction des correspondants japonais à Paris. Ce type de réaction révèle une tension entre son attachement sincère à la précision, et une tendance à surréagir dès que sa vision est mise en doute. Il s’agit moins ici de rigueur scientifique que d’une volonté de contrôle total du récit.

C’est ici que réside le vrai problème : l’écart entre le fait d’intellectualiser une langue et celui de la ressentir. Entre la décrire de l’extérieur, et la vivre de l’intérieur. Une langue minoritaire n’a pas besoin d’une modélisation abstraite. Elle a besoin d’être réappropriée affectivement, culturellement, quotidiennement.

L’approche de Kojima, bien que présentée comme scientifique, adopte une posture typique de ce que Nassim Nicholas Taleb appelle un « IYI » – « Intellectual Yet Idiot » : un expert qui modélise sans jamais se salir les mains, qui analyse sans jamais chanter la langue, qui décrit sans jamais la vivre. Ce n’est pas l’existence d’une analyse grammaticale que l’on remet en cause, mais son enfermement dans un élitisme qui trahit la fonction vitale du langage : relier.

Le laze n’a pas besoin de modèles abstraits. Il a besoin de ponts entre les anciens et les nouveaux, entre ceux qui parlent et ceux qui veulent parler. Une grammaire, dans ce cadre, ne devrait pas être un manuel de validation scientifique, mais un catalyseur d’amour, de mémoire et de transmission.

Il est temps de réinventer nos outils. De construire des grammaires enracinées dans la parole vivante, dans le quotidien, dans les besoins réels des apprenants. Des grammaires qui parlent aux enfants comme aux anciens, aux curieux comme aux professeurs. Rendre la langue au peuple, c’est peut-être ça, au fond, le plus bel acte scientifique qui soit.

À propos, l’outil https://lazuri.org/ se révèle être une des portes d’entrées intéressantes en la matière. On fait aisément la différence entre un outil fonctionnel, développé avec le cœur, d’un manifeste froid et difficile à digérer pour les gens en dehors du monde académique.