L'enfer d'un livreur cycliste
Dans le cadre d’un projet personnel avec un ami, j’ai visionné le reportage intitulé MONITORED, EXPLOITED: IN THE HELL OF BICYCLE DELIVERY MEN.
Il s’agit d’un documentaire d’une quarantaine de minutes environ sur l’envers du décor de ce qu’on appelle la gig economy, notamment l’ubérisation de l’économie.
Derrière ce néologisme tiré de la société éponyme Uber, il est question de réduire les intermédiaires au sein d’un marché, en opposition à la traditionnelle entreprise et ses salariés. Avec la gig economy, les prestataires indépendants fournissent leur service, souvent à l’aide d’une plateforme numérique, et les clients font directement appel à ces services à moindre coût.
Dit comme ça, il peut s’agir d’une aubaine pour l’économie, et ce pour plusieurs raisons :
- une réduction des coûts est toujours avantageuse ; elle permet de stimuler l’économie et de réduire les prix ;
- elle offre aux prestataires une certaine flexibilité dans ses horaires de travail ;
- certaines personnes qui n’avaient pas accès à l’emploi ou n’y ont pas accès par la voie normale peuvent s’insérer sur le marché.
Forcément, qui dit points positifs, dit poins négatifs. Et c’est tout le sujet de ce documentaire ô combien poignant. Résumons points par points.
1 - des conditions difficiles
J’insiste sur le terme difficile, et ce même sans être coursier à vélo. Les prestataires font parfois le double des fameuses trente-cinq heures (il est question d’au moins soixante heures de travail par semaines), la couverture sociale est inexistante pour les risques encourus et la paie n’est pas exceptionnelle.
Chaque coursier doit avoir un statut d’auto-entrepreneur – du moins en France, puisque je ne connais pas la situation dans les autres pays – donc paie ses propres impôts à l’URSAFF, en plus d’assumer ses propres frais en cas de casse (vélo endommagé dans le meilleur des cas, sachant qu’un coursier à vélo ou en scooter est très exposé en cas d’accident).
2 - la méprise des plateformes de mises en relation
Deliveroo a un statut de position dominante (sans doute abusive) à l’égard de ses prestataires tiers. Dans le reportage, il est fait mention d’une anecdote particulièrement intéressante : les coursiers ont voulu contester les conditions soulevées par le premier point par un mouvement de grève.
Le fait est que lesdits prestataires ne sont pas salariés de l’entreprise qui fournit la plateforme (dans le reportage, en l’occurrence, il est question de Deliveroo ou encore de Uber Eats). Et si une entreprise n’a pas le droit de casser une grève de ses salariés, ce droit n’est pas respecté à l’égard des travailleurs indépendants (puisqu’ils ne sont pas salariés). S’en suit des sanctions pénalisantes, comme la désactivation pure et simple des grévistes fauteurs de troubles ou une hausse des tarifs lors de ces protestations afin de les endiguer.
3 – une importante collecte de données de la part des prestataires
Pour rebondir sur le point deux, afin de réprimer et identifier les meneurs de mouvements de contestation, les entreprises utilisent des outils de collecte de données et de traçage en tout genre (à se demander si c’est conciliant avec la RGPD, tout ça). Il est question de savoir où se trouve le livreur, combien de temps il attend à un certain endroit, de le géolocaliser en temps et en heure mais, surtout, d’envoyer des données sur son activité à des prestataires tiers tel que Braze et Segment.
Il s’agit là d’un sujet délicat et on s’éloigne un peu du problème initial, mais cela ne fait qu’accroître le pouvoir de ces structures de la gig economy sur ses travailleurs.
4 - la cécité des politiques
Rien d’étonnant : notre gouvernement actuel a une politique assez favorable à ce genre d’économie ; la fameuse Startup Nation d’Emmanuel Macron. Il a été fait mention dans le reportage d’un projet de loi qui visait la création d’une loi sur la mobilité avec la création d’une charte sociale facultative. Comme la politique c’est pas mon truc, ce que j’ai retenu, c’est que des politiques bien portants, qui n’ont sans doute jamais fait de livraison à vélo, vont dans le sens des entreprises de la gig economy plus que des travailleurs précaires. Vous aurez senti quelque pointe de cynisme dans mes propos (vous êtes sur mon blog, après tout), mais je vous laisse vous faire votre propre avis sur l’asymétrie criante entre ceux qui décident sans avoir leur peau dans le jeu, et ceux qui subissent. Mais ce sujet vaut un autre billet.
Conclusion
Il est évident que la gig economy s’accompagne de ses avantages et inconvénients. Certains y voient une aubaine, d’autres une malédiction.
Lorsqu’il est question d’être libéré de certaines contraintes et de gagner son propre argent, cela peut-être bénéfique. Encore plus pour les étudiants qui souhaitent arrondir leurs fins de mois ou se faire de l’argent de poche (même s’il existe sans doute des solutions plus avantageuses et plus règlementaires).
Si elle a des jours prospères devant elle, il reste un important travail à effectuer quant aux conditions des travailleurs. Il est bien connu que la technologie évolue plus vite que la legislation, et… Je préfère ne pas trop jeter la pierre à qui que ce soit, moi-même échappant à ce système (tout en promouvant une certaine forme de libéralisme…).